Du genre manifeste à la ‘(rabat-) joie manifeste' ? À propos du Killjoy manifesto de Sara Ahmed et autres manifestes féministes enragés/engagés
Marie-Pierre Harder  1  
1 : Philomel, Littérature comparée
Sorbonne Université

En prenant pour point de départ et pierre de touche le « Killjoy manifesto » (« Manifeste rabat-joie ») que la philosophe queerféministe Sara Ahmed a placé en conclusion de son dernier ouvrage, Living a Feminist Life (Duke, 2017), cette communication se propose d'explorer le genre du ou des manifestes féministes, au double sens de gender et de forme littéraire. Traditionnellement associé aux avant-gardes artistiques, et partant, à un imaginaire et à une rhétorique volontiers militaristes, le manifeste a pu être analysé comme un genre d'expression masculin, voire masculiniste, autant que comme une forme performative destinée à déranger les genres (esthétiques) établis, voire à troubler l'ordre public. Que se passe-t-il, donc, lorsque des féministes se saisissent de ce genre ? Dans quelle mesure les (d)énonciations féministes qui s'y manifestent participent-elles à troubler le genre du manifeste tout en constituant un genre de trouble manifeste ?

En menant une étude comparatiste de quelques manifestes (queer)féministes, il s'agira d'analyser comment en reprenant certains lieux communs du genre manifeste (rupture, explosion, passe d'armes), la langue s'y fait lutte pour mieux subvertir les métaphores militaires en performances militantes, où la polémique guerrière se mue poétique/politique « guérillère » (pour reprendre le néologisme de Monique Wittig). Or, si, selon Sara Ahmed, « le manifeste peut être compris comme un genre rabat-joie » (« the manifesto can be understood as a killjoy genre »), il s'agira aussi d'interroger les affects qui se manifestent dans le genre du manifeste : colère, (cou)rage, mais aussi obstination (la willfulness, ou trop-plein de volonté) à rendre ces affects manifestes pour faire manifeste (« in the labor of making manifest we make a manifesto », avance Sara Ahmed). Comment la « colère » s'y « (trans)forme[-t-elle] en paroles et en actes » pour reprendre le mot d'ordre (ou de désordre) avancé par Audre Lorde ? Comment la rage s'y fait-elle courage à s'engager non seulement à déranger, mais peut-être aussi à dégenrer l'ordre public ? Dans quelle mesure l'écrit/les cris collectifs y performent-ils l'affinité entre manifeste (poétique) et manifestation (politique) ?



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