‘Justice machiste ? Escrache féministe !'. Manifester la violence de genre dans l'espace public argentin
Julia Descamps  1  
1 : Sociologie
École normale supérieure de Cachan - ENS Cachan

Le scratche (ou « escrache ») est une forme d'action née en Argentine dans les années 1990 dans le contexte de la lutte contre l'oubli des disparitions durant la dictature et l'impunité de leurs responsables. Ce mode d'action est réinvesti depuis le début des années 2010 par certains collectifs féministes (parfois par des femmes seules), visant à dénoncer publiquement un « coupable » de violence de genre en publiant son nom et son visage, notamment dans les espaces que celui-ci fréquente, et/ou sur les réseaux sociaux.

C'est un événement qui s'apparente à une manifestation, au sens que lui donne la sociologie des mouvements sociaux. Mais il ne s'y réduit pas. Mener un scratche, c'est systématiquement pratiquer une « performance » : la mise en scène du « coupable » comme des scratcheuses, qu'elles soient militantes ou victimes, en est un élément crucial. Usage du corps des scratcheuses comme d'un lieu d'expression, violence simulée ou réelle à l'égard du désigné coupable dont on imite le procès, investissement, transformation, voire dégradation des « lieux du crime » ... : l'escrache « manifeste » contre une société considérée comme patriarcale en la manifestant, c'est-à-dire en la rendant visible et palpable dans l'espace public.

Parfois à rebours du slogan « ni una menos »[1], l'aspect vengeur du scratche semble brouiller les frontières de la justice (les « coupables » deviennent les « victimes », dans cette entreprise de destruction de leur réputation) et du genre : en se faisant l'espace d'une violence féminine médiatisée, d'un affranchissement des normes de comportement féminin, il participe de l'entreprise de déconstruction d'une domination masculine par la remise en cause des assignations identitaires.

 

Bio-bibliographie

Cette proposition repose sur un travail effectué en 2017-2018 à l'occasion d'un mémoire de M1 à l'Université Paris-Sorbonne sous la direction de Pierre-Marie Chauvin, et d'une mobilité universitaire la même année en Argentine, à Buenos Aires. La méthodologie était celle de l'ethnographie (entretiens et observation directe et indirecte) et l'analyse textuelle d'un corpus d'articles sur le phénomène. Actuellement élève en 3ème année à l'ENS Cachan, je suis inscrite dans un M2 Formation à l'Enseignement Supérieur afin de préparer le concours de l'agrégation de Sciences sociales.

 

[1] « Pas une de moins », un des symboles de la lutte féministe en Amérique du sud depuis la grande manifestation de 2015 contre le féminicide.



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