La stratégie de la réponse : Virginia Woolf et l'art du contre-manifeste
Olivier Hercend  1  
1 : Philomel, Études anglophones
Sorbonne Université

Le « genre manifeste », c'est aussi la différence genrée qui se manifeste, les coupures et les failles qui s'ouvrent au grand jour, brisant l'universalisme affiché de la raison et du langage. Au tournant du XXème siècle, l'écho d'une parole autre, réfractaire aux carcans de la grammaire et des conventions narratives, vient remettre en cause le discours littéraire. C'est la voix sans ponctuation, fluctuante, de Molly Bloom, ou cet appel subreptice que lance le personnage de Mrs Brown, une vieille femme invisible selon les conventions du roman réaliste, et dont Virginia Woolf se fait la porte-parole. Mais cette voix féminine ne se contente pas de s'immiscer dans le langage. Elle peut submerger, forcer les barrières linguistiques, sous la forme directe et sauvage d'un cri. Les avancées de la médecine et de la psychanalyse, la nouvelle posture d'écoute qui caractérise le rapport à la maladie, font réapparaître dans le champ culturel cet ailleurs, socialement et spatialement réprimé, de la souffrance des femmes. Je montrerai que le modernisme participe de ce mouvement. Plusieurs auteurs anglophones, hommes et femmes, laissent s'exprimer dans leurs œuvres cette souffrance, hors des structures et des espaces marginaux que lui assigne la société de l'époque. Que ce soit l'hystérie telle que la décrit T.S. Eliot dans ses poèmes, la maladie physique et mentale qu'explore Virginia Woolf dès son roman de jeunesse « The Voyage Out », ou encore les douleurs de l'accouchement, qui hantent par exemple tout le quatorzième épisode de Ulysses (« Oxen of the Sun »), cette souffrance, rendue manifeste, vient poindre le tissu narratif ou poétique, déstructurer le langage, et dénoncer son abstraction face à la violence des expériences de vie. Elle ouvre le modernisme à ce cri féminin – au cri de Philomèle, envers artistique du chant du rossignol.

 

Ancien élève de l'ENS de la rue d'Ulm (2011) et agrégé d'anglais (2015), Olivier Hercend achève actuellement une thèse sous la direction de Frédéric Regard à Sorbonne Université, sur « Le rapport au lecteur dans les textes de T.S. Eliot, Virginia Woolf et James Joyce ». Il a publié un article intitulé « Cinema, the Mind and The Reader in Virginia Woolf's “The Mark on the Wall” » dans Études Anglaises, et travaillé en tant que traducteur et interprète de Gayatri Spivak lors du Congrès de l'Association Internationale de Littérature Comparée en 2013 à Paris.



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