Où sont les bébés ?

Contrairement aux écrivains hommes, les écrivaines auteures d'écrits autobiographiques se retrouvent confrontées à la question de la maternité : en avoir ou pas ? La vocation d'écrivain se heurte souvent à la réalité biologique de la possibilité d'une grossesse. Contrairement aux écrivains hommes qui se contentent généralement d'une paternité métaphorique de leurs oeuvres, les écrivaines sont sommées de se justifier sur la possibilité d'une maternité au sens figuré comme au sens propre. Le bébé, s'il arrive, rend manifeste ces contradictions liées au genre de l'écrivaine et pourtant bien souvent, il est caché.

"Qu'est-ce qu'un bébé ? Pourquoi si peu de bébés dans la littérature ?" se demande Marie Darrieussecq en quatrième de couverture de son mémoire Le bébé, paru en 2005. Comme elle, au moment de devenir mère, Rachel Cusk se tourne vers la littérature pour y trouver les réponses à ses questions et se retrouve face au même constat : on ne parle pas des bébés dans la littérature canonique, ou alors pour signifier le statut de leur mère au sein du système patriarcal : entre la femme enfin accomplie dans son rôle de mère et la fille déchue dont le bébé devient alors le symbole de la faute.

Une fois le bébé arrivé, une autre question se pose : peut-on être mère et écrire des livres ? Peut-on, comme se demande Maggie Nelson, tenir un stylo et un bébé en même temps ? Est-ce pour cette raison qu'il y a si peu de bébés dans la littérature : parce qu'ils réduisent leur mère au silence ? J'essaierai ainsi de réfléchir au paradoxe de la représentation littéraire de la maternité, de l'effacement du corps de la femme enceinte à l'effacement du bébé dont l'existence même relève de l'ineffable. Rendre manifeste le bébé revient à rendre manifeste le genre de l'auteure et les contradictions de sa fonction de mère et d'écrivaine.

Alice Braun est maîtresse de conférences à l'université Paris Nanterre. Son travail porte sur la représentation du soi dans les récits autobiographiques d'écrivains femmes et particulièrement sur la question de la maternité.